Vasculopathies cutanées
Le système vasculaire de la peau joue un rôle essentiel...
Numéro du magazine 28.1 Autre scientifique
Publié 06/08/2020
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Les pododermatites du chien peuvent, à première vue, sembler banales et faciles à traiter, mais il existe des pièges à éviter. Rosanna Marsella apporte sa vision de ce problème parfois très complexe et donne quelques conseils utiles pour le diagnostic et le traitement.
Les pododermatites canines peuvent être primaires ou secondaires, le vétérinaire doit adopter une démarche rigoureuse pour déterminer leur origine.
Identifier la distribution et le type de lésions primaires est essentiel pour établir le diagnostic.
La démodécie doit toujours être envisagée comme une cause possible de pododermatite.
Certaines causes de pododermatite touchent non seulement la peau mais aussi les griffes, ce qui peut aider à leur identification.
Les pododermatites sont fréquemment rencontrées chez le chien. Les causes sont nombreuses, et il est donc important d’adopter une démarche rigoureuse pour aboutir au diagnostic. Cela permet de proposer le traitement le plus adapté. Malheureusement, comme souvent en dermatologie, des surinfections et la chronicité du phénomène modifient souvent l’expression clinique initiale. Il est important de connaître les facteurs primaires, secondaires et d’entretien responsables de pododermatite (Tableau 1).
Facteurs primaires | |
Prurigineux
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Non prurigineux
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Facteurs secondaires | |
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Facteurs d’entretien | |
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1 Affections pouvant aussi se manifester par une kératodermie des coussinets.
2 Affections pouvant toucher les griffes.
Même lorsque le prurit n’est pas initialement présent, il apparaît fréquemment lorsque des complications infectieuses se développent et constitue le principal motif de consultation. La persistance d’un prurit résiduel après traitement des surinfections permet d’affiner le diagnostic différentiel.
L’identification de la distribution des lésions permet de distinguer les affections se traduisant par des lésions strictement podales de celles responsables de lésions plus étendues.
Certaines affections touchent les quatre membres, tandis que d’autres touchent uniquement les membres antérieurs, au moins au départ. Citons, par exemple, les dermatites de contact et la dermatite atopique, qui commencent généralement sur les membres antérieurs puis progressent pour atteindre les quatre membres. L’hypersensibilité aux piqûres de puces, en revanche, a tendance à toucher principalement les membres postérieurs.
Il est important de savoir quel type de lésions primaires est associé à chaque maladie (c.-à-d. papules, pustules, bulles...). Par exemple, la dermatite de contact est associée à une éruption papuleuse primaire, donc lors de dermatite de contact avec un tapis ou une pelouse, des papules prurigineuses sur la face palmaire/plantaire des extrémités des quatre membres devraient être observées 1. Une atteinte des autres zones de contact avec le sol – face, région périnéale et abdomen – est fréquente (Figure 1) (Figure 2a) (Figure 2b).
La lésion primaire lors de pemphigus foliacé est une pustule. Les pustules étant fragiles, des croûtes résultant de l’assèchement de celles-ci sont plus souvent observées (Figure 3). Chez le chien, le pemphigus foliacé est généralement localisé sur la face (formant un masque en « ailes de papillon » s’étendant sur la région périoculaire, le chanfrein et le nez) et la face intérieure des pavillons auriculaires 2. Des croûtes feuilletées résultant de l’assèchement successif de plusieurs pustules peuvent être observées sur les coussinets (Figure 4), notamment sur leurs bords.
Autre cause primaire fréquemment responsable de pododermatite : les Demodex, qui doivent donc toujours être envisagés. La démodécie peut se traduire par un érythème podal avec prurit et ainsi mimer une pododermatite allergique. Les chiens touchés présentent souvent de façon concomitante un prurit facial qui renforce la suspicion d’allergie (Figure 5). C’est pourquoi des raclages cutanés doivent toujours être réalisés lors de pododermatite prurigineuse pour rechercher des Demodex spp. Les comédons sont une autre manifestation de la démodécie (Figure 6), ils sont caractérisés par une coloration grise résultant de l’obstruction des follicules pileux par les acariens. Leur présence doit toujours amener le vétérinaire à réaliser des raclages cutanés. Un trichogramme est parfois plus facile à réaliser si la patte est trop gonflée et si l’animal a mal (Figure 7) même si sa sensibilité est inférieure à celle des raclages. Du fait de l’inflammation des follicules pileux, la majorité (mais pas la totalité) des chiens atteints présentent une perte de poils associée. Curieusement, les races à poil long telles que le Yorkshire et le bichon maltais ne semblent pas développer de dépilations aussi souvent que les races à poil court.
Concernant les autres causes de pododermatite, il est important de rappeler que certaines maladies touchent à la fois la peau et les coussinets, et d’autres pas. Par exemple, la dermatite atopique touche uniquement la peau, mais des maladies auto-immunes comme le pemphigus foliacé peuvent également atteindre les coussinets, avec des croûtes et une kératodermie. Les hypothèses diagnostiques sont nombreuses lors de pododermatite avec kératodermie. L’une des plus importantes est la dermatite nécrolytique superficielle (DNS), qui touche à la fois les coussinets et d’autres régions du corps comme les organes génitaux et les commissures des lèvres (Figure 8) (Figure 9) 4. C’est une maladie du vieux chien qui est liée à un trouble métabolique avec déficit en acides aminés. Les coussinets présentent des craquelures et fissures, plutôt que des croûtes feuilletées résultant de pustules asséchées comme en cas de pemphigus. L’aspect des lésions, leur distribution et l’âge du chien sont autant de facteurs permettant au vétérinaire de classer les hypothèses par ordre de probabilité et de s’orienter entre pemphigus foliacé et DNS.
Rosanna Marsella
Pour ces deux maladies, l’examen histopathologique de biopsie cutanée est indispensable pour établir le diagnostic. Les cellules acantholytiques et les pustules superficielles orientent vers un pemphigus foliacé, la parakératose, la spongiose et l’hyperplasie épidermique de la couche de cellules basales (aspect « bleu-blanc-rouge ») vers un DNS. Le traitement du pemphigus repose sur l’utilisation d’immuno-modulateurs comme les corticoïdes alors qu’ils sont contre-indiqués en cas de DNS, car les chiens touchés sont souvent diabétiques ou en état prédiabétique. Chez ces animaux, une supplémentation nutritionnelle adaptée en acides aminés, zinc et acides gras essentiels peut améliorer les lésions.
Il est important de souligner que les cellules acantholytiques, habituellement considérées comme caractéristiques du pemphigus, peuvent également être rencontrées dans d’autres maladies comme les dermatites de contact et la dermatophytose. Dans toutes les dermatoses accompagnées d’un infiltrat inflammatoire neutrophilique sévère, une acantholyse peut se produire en raison de l’effet protéolytique des neutrophiles dégénérés. Certains cas de dermatophytose à Trychophyton ressemblent cliniquement au pemphigus foliacé (Figure 10), il est donc important d’envisager cette hypothèse dans le diagnostic différentiel. Confondre une dermatophytose avec un pemphigus peut être problématique, la corticothérapie n’étant bien entendu pas adaptée aux cas de teignes. Chez ces chiens, un traitement antifongique systémique de plusieurs mois est nécessaire, l’itraconazole (à raison de 5 mg/kg PO toutes les 24 heures) est le plus couramment utilisé en raison de sa forte concentration dans la kératine et de son activité résiduelle après l’arrêt du traitement. Pour des raisons similaires, la terbinafine (20 mg/kg PO toutes les 12 heures) est aussi un excellent choix.
Une vascularite ou un érythème polymorphe peuvent être en cause. Une vascularite est le plus souvent due à une hypersensibilité de type III pouvant être déclenchée par différents stimuli antigéniques 5, le dépôt d’immuns complexes peut avoir lieu au niveau des extrémités des membres et des oreilles, mais aussi des vaisseaux du reste du corps. Cette entité peut être provoquée par des médicaments, des vaccins ou des infections, notamment certaines maladies transmises par les tiques. Au niveau des pattes, les signes cliniques classiques sont des ulcères localisés au centre des coussinets (Figure 11), dont la taille varie selon la sévérité et le diamètre des vaisseaux sanguins touchés. Le diagnostic repose sur le tableau clinique et l’analyse histopathologique d’une biopsie d’une lésion débutante. Il est important que le vétérinaire identifie et traite (si possible) la cause sous-jacente. Nombre de ces cas nécessitent des corticoïdes à doses immunosuppressives associés à de la pentoxifylline, parfois de façon prolongée.
L’érythème polymorphe fait également partie des hypothèses diagnostiques. Il s’agit d’un syndrome clinique plus que d’un diagnostic spécifique donc, là encore, le vétérinaire doit identifier l’affection déclenchante pour proposer un traitement efficace. Les lésions typiques sont des macules érythémateuses en cocarde (plus claires au centre) (Figure 12), pouvant s’observer sur de nombreuses parties du corps, dont les extrémités des membres. Il est important de recueillir un historique complet des médicaments et vaccins reçus puisqu’ils peuvent déclencher ce type de réaction cutanée, même après une période de tolérance. Le diagnostic définitif repose sur l’examen histopathologique de biopsies qui met en évidence des cellules apoptotiques isolées. Un traitement immuno-suppresseur est généralement prescrit, parallèlement à la prise en charge de la cause déclenchante.
Certaines causes de pododermatite touchent non seulement la peau, mais aussi les griffes 6, différentes anomalies de leur structure pouvant alors être observées (Tableau 2). L’onychodystrophie lupoïde symétrique et la dermatophytose en sont deux exemples classiques (Figure 13). Dans les régions du globe où la leishmaniose est présente, cette maladie doit être envisagée lors d’onychogryphose (hypertrophie avec courbure anormale de la griffe). Le Tableau 3 dresse une liste plus exhaustive des maladies pouvant entraîner une pododermatite avec atteinte des griffes.
Onychoclasie | Fracture de la griffe |
Onychocryptose | Griffe incarnée |
Onychodystrophie | Développement anormal de la griffe |
Onychogryphose | Hypertrophie et courbure anormale de la griffe |
Onychomadèse | Décollement et chute de la griffe |
Onychomalacie | Ramollissement de la griffe |
Onychorrhexie | Striations longitudinales associées à une fragilité et fracture de la griffe |
Onychoschisie | Fissuration et/ou stratification de la griffe, commençant généralement dans la partie distale |
Paronychie | Inflammation du pourtour de la griffe |
Lésions symétriques |
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Lésions asymétriques |
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L’onychodystrophie lupoïde symétrique est décrite chez le Labrador, le Berger Allemand, le Rottweiler et le Boxer 7 et possède certaines caractéristiques communes avec le lupus, bien que les chiens atteints ne souffrent pas d’atteinte systémique. Elle touche, généralement, les animaux jeunes et se traduit par une chute soudaine des griffes (Figure 14) associée, à des degrés variables, à de la douleur et à du prurit. Une paronychie peut également s’observer. Les surinfections bactériennes sont fréquentes et contribuent à la douleur et au prurit. L’évolution naturelle de la maladie implique une repousse partielle des griffes, qui sont cassantes et anormales et restent partiellement décollées. Le bilan sanguin (c.-à-d. numération formule sanguine (NFS), bilan biochimique et dosage des anticorps antinucléaires (AAN)) est normal, et le diagnostic nécessite l’amputation de la troisième phalange d’un doigt pour histopathologie. Le traitement inclut de fortes doses d’acides gras essentiels ou de corticoïdes. La tétracycline et la niacinamide sont parfois utilisées pour leurs propriétés immunomodulatrices, mais l’amélioration peut prendre quelques mois. La pentoxifylline (15-20 mg/kg PO toutes les 8 heures, administrée avec de la nourriture pour améliorer la tolérance digestive) possède des propriétés immunomodulatrices et se révèle utile dans certains cas. Les surinfections doivent être traitées de manière concomitante. Dans certains cas, la maladie traduit une hypersensibilité alimentaire, et certains dermatologues recommandent un régime d’éviction pour l’exclure. La prise en charge passe, parfois, par l’amputation de la troisième phalange et de la griffe des doigts touchés.
Comme nous l’avons déjà vu, quelle que soit la cause primaire de la pododermatite, une réaction inflammatoire contre la kératine libre présente dans le derme peut se développer suite à une infection et à la destruction des follicules pileux (furonculose). La réponse inflammatoire dirigée contre les bactéries et les fragments de poils entraîne progressivement œdème, douleur et fibrose (Figure 15). Certains chiens ont tendance à développer des lésions kystiques, l’organisme se défendant contre les corps étrangers constitués par les fragments pilaires libérés dans le derme en essayant de les encapsuler (Figure 16) 8. Ces lésions sont souvent une source de récidive car elles peuvent servir de point de départ à de nouveaux épisodes infectieux. Les chiens à poil court sont plus sujets à ce type de réaction, car les poils courts et piquants de leurs espaces interdigités auraient plus tendance à créer des lésions des follicules pileux, facilitant ainsi le développement des bactéries. Ces cas peuvent être frustrants à traiter et nécessitent, souvent, de longues cures d’antibiotiques par voie orale ainsi que des shampoings antiseptiques contenant de la chlorhexidine ou du peroxyde de benzoyle. Une culture avec antibiogramme est fortement conseillée dans ces cas pour identifier l’antibiotique le plus efficace, même si la clindamycine ou les fluoroquinolones (NDLR : antibiotiques critiques en France, à ne jamais utiliser en première intention) sont généralement de bons choix du fait de leur excellente capacité de pénétration dans les couches profondes du derme. En outre, de nombreux cas tirent avantage d’une corticothérapie et d’une antibiothérapie locale à base, par exemple, de mupirocine. Les corticoïdes peuvent aider à réduire la fibrose et l’inflammation excessive, qui empêchent parfois la résolution de la pododermatite. Les bains additionnés de produits facilitant l’ouverture et le drainage des nodules (sulfate de magnésium, par exemple) sont également bénéfiques. Dans les cas sévères, une chirurgie au laser 9 ou une podoplastie peuvent être nécessaires.
Au vu des multiples causes de pododermatite, l’approche initiale doit inclure au minimum une cytologie, un raclage cutané profond et une culture fongique (Tableau 4). Pour la cytologie, un scotch-test ou un écouvillonnage peuvent être réalisés selon le type de lésion. Les lésions sèches se prêtent plus à la réalisation d’un scotch-test, tandis que les lésions exsudatives conviennent mieux aux impressions directes ou aux écouvillonnages. Les prélèvements sont faciles à colorer et à analyser pour évaluer la présence et le type de l’infiltrat inflammatoire, la présence de bactéries et de levures et, éventuellement, de cellules acantholytiques. Le diagnostic des infections fongiques implique une culture sur milieu DTM (Dermatophytes Test Medium) de prélèvements de griffe (copeaux prélevés sur les parties les plus proximales de la griffe).
Approche clinique d’un cas de pododermatite – Première visite |
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Approche clinique d’un cas de pododermatite – Visite de contrôle |
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Un bilan sanguin (NFS et bilan biochimique) peut être indiqué chez les chiens âgés, notamment lors de suspicion de DNS, et la décision d’effectuer ou non une biopsie dépendra du signalement, de l’anamnèse et des signes cliniques. Rappelons que certaines affections (maladie auto-immune ou à médiation immune, par exemple) nécessitent une biopsie pour leur diagnostic, alors que cela n’est pas utile pour d’autres (dermatoses allergiques, par exemple). Selon la distribution des lésions et la présence de prurit, le vétérinaire devra établir une liste des hypothèses diagnostiques et décider d’une démarche diagnostique.
L’approche clinique des pododermatites exige une bonne connaissance de ce sujet et une identification précise des facteurs primaires, secondaires et d’entretien. Si le vétérinaire n’effectue pas les examens complémentaires de base lors de l’examen initial, il risque de passer à côté de problèmes courants, et il est essentiel qu’il traite correctement les surinfections. Enfin, sachant que beaucoup d’affections se ressemblent, il est indispensable qu’il établisse un diagnostic et qu’il n’essaie pas seulement de traiter les signes cliniques.
Rosanna Marsella
Le Dr Marsella est diplômée du Collège Américain de Dermatologie Vétérinaire et Professeure titulaire à l‘Université de Floride. En savoir plus
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