Quand un taux élevé de ALT/AST/ALP est-il significatif ?
En règle générale, lorsque les taux d’alanine aminotransférase (ALT) et d’aspartate aminotransférase (AST) sont multipliés par deux, le résultat est significatif. Sur le plan physiopathologique, l’augmentation de l’activité des enzymes hépatocellulaires résulte de la fuite des enzymes hors des cellules (ALT, AST) ou de l’induction enzymatique (phosphatase alcaline (ALP)). Les résultats doivent toutefois toujours être interprétés en fonction des commémoratifs, des signes cliniques présentés par le chien, et des résultats des autres examens. Les résultats peuvent varier selon qu’il s’agit d’une maladie aiguë ou chronique. Par exemple lorsqu’une maladie chronique entraîne une atrophie ou une fibrose du foie, l’activité des enzymes hépatiques peut se situer dans l’intervalle de référence, ou n’être que légèrement augmentée. Si une maladie grave s’accompagne d’une altération de la fonction hépatique, des taux normaux d’enzymes hépatiques pourront coexister avec des anomalies des paramètres fonctionnels (hypoalbuminémie, diminution de l’urémie, hypoglycémie, hyperbilirubinémie, modifications des taux de cholestérol et de triglycérides, temps de coagulation allongé). Cette situation est observée lors de maladie grave, telle qu’un shunt porto-systémique.
Il est donc faux de croire qu’une activité enzymatique hépatique normale signifie que le foie est sain. Les valeurs des enzymes hépatiques devront toujours être interprétées en même temps que les paramètres de la fonction hépatique, en tenant compte des commémoratifs et des signes cliniques présentés par l’animal.
Quels sont les tests qui permettent le mieux de diagnostiquer un shunt hépatique ?
Un shunt porto-systémique est dû à la présence d’une anomalie vasculaire : une veine du système porte est directement reliée à la veine cave caudale ou à la veine azygos. À cause de cette dérivation, les hépatocytes ne sont pas suffisamment irrigués, ce qui entraîne l’atrophie du foie. La perte des hépatocytes entraîne de nombreuses modifications des analyses de laboratoire. Les concentrations en enzymes hépatiques (telles que l’enzyme cytosolique ALT, ou l’AST, qui sont surtout présentes dans les mitochondries des hépatocytes) peuvent être normales ou augmentées chez les chiens atteints. Toutefois, si le nombre d’hépatocytes a considérablement baissé, une faible quantité de ces enzymes sera libérée par les cellules restantes, se traduisant alors par des concentrations sériques faibles ou normales. Lorsqu’il ne reste plus que 20 à 30 % de la masse hépatique, des signes cliniques d’insuffisance hépatique apparaissent. Le foie devient alors incapable de remplir ses fonctions physiologiques, ce qui perturbe le métabolisme des glucides, des lipides, des vitamines et des protéines, ainsi que les capacités de détoxification de l’organisme. L’insuffisance hépatique peut alors provoquer une hypoglycémie, des modifications des concentrations en cholestérol et triglycérides, une hyperbilirubinémie, une hypoalbuminémie, un allongement du temps de coagulation, une diminution de l’urémie, une augmentation du taux d’acides biliaires et une hyperammoniémie. Une anémie microcytaire et une baisse de la densité urinaire sont également souvent observées.
Si les dosages cités plus haut ne permettent pas de poser un diagnostic clair en cas de suspicion de shunt hépatique, quels examens faut-il alors pratiquer ? En cas d’insuffisance hépatique, le test de stimulation des acides biliaires à jeun et en postprandial est très intéressant. En cas d’hyperbilirubinémie, il faut cependant s’attendre à ce que la concentration en acides biliaires augmente et le test de stimulation ne renseignera pas beaucoup sur l’état du chien. Les affections qui perturbent le passage de la bilirubine conjuguée des hépatocytes vers les voies biliaires altèrent en effet aussi l’excrétion des acides biliaires ; ces paramètres tendent alors à augmenter.
En présence de signes neurologiques compatibles avec une encéphalopathie hépatique (apathie ou tremblements par exemple), l’ammoniémie sera augmentée. Ce paramètre est cependant très délicat à mesurer et des résultats faussement élevés seront facilement obtenus si les prélèvements n’ont pas été traités correctement. Afin de limiter la variabilité des résultats et éviter de fausser le diagnostic, il est très important de centrifuger immédiatement le prélèvement pour séparer les cellules du plasma, de faire le dosage dans l’heure qui suit le prélèvement, et de limiter son exposition à l’air.
Les enzymes hépatiques peuvent-elles être normales lors de tumeur primaire du foie chez un chien ?
Cela arrive ! Des rappels de physiopathologie sont utiles pour comprendre quels mécanismes conduisent à faire augmenter l’activité enzymatique. Les enzymes hépatiques ne constituent pas un groupe homogène ; l’ALT et l’AST sont généralement considérées comme des enzymes hépatiques tandis que l’ALP et la gamma glutamyltransférase (GGT), bien que souvent incluses dans cette catégorie, peuvent aussi être produites par les membranes cellulaires des cellules épithéliales biliaires. Ce sont donc des marqueurs classiques des troubles cholestatiques, intra- ou extra-hépatiques. L’augmentation de l’activité de l’ALT et de l’AST est liée à des lésions hépatocellulaires réversibles ou irréversibles (nécrose). Le foie peut être le siège d’une grande variété de tumeurs : une tumeur hépatique primaire peut être focale, nodulaire (comme la plupart des carcinomes hépatocellulaires) ou se développer de manière diffuse, en infiltrant le tissu hépatique de manière plus hétérogène. Les lésions focales provoquent une augmentation significative de l’activité des enzymes hépatiques, à cause des lésions hépatocellulaires sévères et de la nécrose tissulaire. Selon le degré de cholestase intrahépatique, le taux d’ALP peut en revanche augmenter ou rester normal. Lorsque des tumeurs à cellules rondes infiltrent le tissu hépatique de manière diffuse (en cas de lymphome ou de mastocytome par exemple), les lésions hépatocellulaires ne sont pas forcément significatives et l’augmentation de l’activité des enzymes hépatiques peut alors être légère voire nulle.
En résumé, en cas de tumeur hépatique, l’augmentation globale de l’activité des enzymes hépatiques dépend du degré des lésions hépatocellulaires. L’importance de la libération enzymatique est conditionnée à l’importance de la nécrose tissulaire associée à la lésion tumorale. En cas d’infiltrat tumoral focal ou diffus, l’augmentation des enzymes hépatiques n’est pas systématique. Le diagnostic de maladie hépatique s’appuiera alors sur l’imagerie diagnostique (échographie abdominale) et sur des cytoponctions à l’aiguille fine (Figure 2).