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Numéro du magazine 25.3 Autre scientifique

Comment j’aborde… Les urgences ophtalmologiques chez le chien

Publié 15/04/2021

Ecrit par Elizabeth Giuliano

Aussi disponible en Deutsch , Italiano , Español et English

Les urgences ophtalmologiques sont courantes en clientèle des petits animaux et regroupent toutes les affections oculaires d’apparition aiguë ou secondaires à un traumatisme de l’œil ou des structures périoculaires.

Les urgences ophtalmologiques chez le chien

Points clés

Les urgences ophtalmologiques sont courantes en clientèle canine. Grâce à un traitement adapté, la majorité des cas peuvent être stabilisés en attendant de pouvoir être vus par un vétérinaire ophtalmologiste.


L’équipement nécessaire à la réalisation d’un examen ophtalmologique complet est minime et le vétérinaire doit s’efforcer de faire un bilan ophtalmologique minimum pour diagnostiquer et traiter au mieux les problèmes oculaires, bien que les circonstances puissent parfois empêcher une partie de l’examen.


Le bilan ophtalmologique minimum inclut : réflexe de clignement à la menace, réflexe pupillaire photomoteur direct et consensuel, réflexe palpébral, test de Schirmer, test à la fluorescéine et tonométrie.


 

Généralités

Les urgences ophtalmologiques sont courantes en clientèle des petits animaux et regroupent toutes les affections oculaires d’apparition aiguë ou secondaires à un traumatisme de l’œil ou des structures périoculaires. Avec un traitement adapté, la plupart des urgences peuvent être stabilisées en attendant de pouvoir être vues par un spécialiste en ophtalmologie. Leurs motifs de consultation sont majoritairement une gêne oculaire importante, une perte de la vision ou une perte d’intégrité du globe oculaire, et elles peuvent être classées comme urgences d’origine traumatique ou d’origine non traumatique. La première catégorie inclut les problèmes de type prolapsus du globe oculaire, corps étranger conjonctival ou cornéen, brûlure chimique de la cornée, plaie cornéenne ou perforation, prolapsus irien, et rupture du cristallin associé à une uvéite phacoclastique, tandis que la deuxième catégorie inclut les affections de type cellulite ou abcès orbitaire, kératoconjonctivite sèche (KCS) aiguë, ulcères cornéens, glaucome congestif aigu, uvéite, luxation antérieure du cristallin, décollement rétinien, dégénérescence de la rétine aiguë acquise (SARD), névrite du nerf optique et endophtalmie. Une intervention rapide et un traitement adapté sont essentiels pour préserver la vision et rétablir le confort oculaire. Cet article récapitule l’approche initiale des urgences oculaires chez le chien et la prise en charge des problèmes les plus fréquents, dont les affections de l’orbite et du globe, des annexes, de la conjonctive et de la cornée. L’uvéite, le glaucome et les maladies du cristallin constituent d’autres problèmes oculaires importants susceptibles d’être vus en urgence mais ils ne seront pas abordés dans cet article.
 

 

Approche initiale

Je recommande d’examiner tous les patients à distance dans un premier temps. Cela aide à déterminer si le problème est unilatéral ou bilatéral (si le problème est visible à distance). Observez la relation du globe avec l’orbite et les paupières, et avec l’autre globe, et posez-vous les questions suivantes :

  • Quelle est la taille de l’œil – petite, normale ou augmentée ?
  • Quelle est la position de l’œil – protubérant ou enfoncé dans l’orbite ?
  • Y a-t-il une différence entre les axes des deux yeux ?
  • Y a-t-il un signe d’œdème périorbitaire ?
  • Y a-t-il un écoulement oculaire et si oui, de quelle nature est-il (séreux, mucoïde ou sanguin) 

Les urgences ophtalmologiques canines sont majoritairement dues à un traumatisme de l’œil ou des structures périoculaires, ou à un trouble oculaire d’apparition aiguë. Les traumatismes de l’orbite ou du globe oculaire peuvent être la conséquence de différents types d’agression, incluant commotions (accidents de la voie publique ou chute de plusieurs étages), corps étrangers pénétrants, plaies par griffure ou morsure, et brûlures chimiques ou thermiques, pour n’en citer que quelques-uns. Les problèmes oculaires d’apparition brutale incluent les affections rétrobulbaires entraînant une malposition du globe oculaire ou une tuméfaction des tissus périoculaires, les ulcères cornéens rapidement évolutifs avec risque de perforation, l’uvéite et la cécité aiguë. Comme dans tous les cas d’ophtalmologie, la prise en charge diagnostique et thérapeutique est orientée par la recherche d’un confort oculaire et d’une préservation de la vision de l’animal.

Quelle que soit la nature de l’urgence, un examen ophtalmologique complet doit être réalisé à la fois pour être sûr d’établir le bon diagnostic et pour identifier et traiter de manière adaptée toute affection oculaire concomitante. Face à un ulcère cornéen par exemple, si les paupières et les structures intraoculaires ne sont pas minutieusement examinées, la cause sous-jacente de l’ulcère (anomalie de la paupière avec distichiase, par exemple) risque de passer inaperçue. En outre, si vous n’examinez pas attentivement les structures intraoculaires, vous risquez de passer à côté d’une uvéite secondaire à l’ulcère cornéen. Si l’anomalie palpébrale n’est pas traitée, l’ulcère a peu de chances de s’améliorer et risque même de s’aggraver. Si l’uvéite concomitante n’est pas traitée, il y a un risque de séquelles graves de type synéchie, cataracte ou glaucome, pouvant compromettre la vision. Un examen approfondi de toutes les structures externes et internes des deux yeux, même si le problème est unilatéral, doit être réalisé pour toutes les urgences ophtalmologiques. Un bilan ophtalmologique minimum, incluant réflexe de clignement à la menace (Figure 1), réflexe pupillaire photomoteur, test de Schirmer, test à la fluorescéine (Figure 2), et mesure de la pression intraoculaire (Figure 3), doit être établi chaque fois que cela est possible 1. Les circonstances excluent parfois la réalisation d’une partie de l’examen ; par exemple, la tonométrie est proscrite en présence d’un descemétocèle du fait du risque de rupture du globe oculaire.

 
Figure 1. Réflexe de clignement à la menace chez un chien. Notons que l’œil controlatéral est caché et que le vétérinaire utilise un seul doigt pour tester ce réflexe afin d’éviter de créer des courants d’air ou de toucher accidentellement les vibrisses. © Elizabeth Giuliano

Figure 2. Application de fluorescéine chez un chien, révélant un ulcère cornéen superficiel. © Elizabeth Giuliano

Figure 3. Positionnement et utilisation corrects d’un tonomètre pour mesurer la pression intraoculaire. © Elizabeth Giuliano

 

Affections orbitaires

Les traumatismes contondants ou pénétrants peuvent provoquer d’importantes lésions orbitaires. La proptose oculaire (Figure 4), définie par le déplacement antérieur de l’équateur du globe au-delà du bord palpébral, n’est pas rare et s’accompagne d’un pronostic plus grave chez les races dolichocéphales (lévriers, par exemple) que chez les brachycéphales (Pékinois, Shih Tzu, par exemple). Cela est dû au fait qu’il faut plus de force pour provoquer une proptose du globe oculaire chez un chien dolichocéphale que chez un brachycéphale. 

 

Figure 4. Proptose bilatérale secondaire à un traumatisme chez un Boston Terrier. Les globes oculaires n’ont pas pu être préservés et une énucléation bilatérale a été réalisée. © Elizabeth Giuliano

En cas de proptose, il est crucial d’évaluer et de stabiliser l’état général. Si le chien présente une proptose à la suite d’un choc important, il faut traiter en premier lieu les signes de choc, l’œdème ou l’hémorragie cérébrale, et les troubles respiratoires ou cardiovasculaires. L’observation minutieuse de déformations faciales, d’épistaxis, de crépitements et d’œdème sous-cutané, peut aider à déterminer l’étendue des lésions oculaires. La proptose traumatique altère l’irrigation vasculaire du globe oculaire et entraîne rapidement un œdème péribulbaire important. Les muscles extra-oculaires peuvent être avulsés, entraînant un strabisme permanent. L’étirement du nerf optique peut entraîner une cécité de l’œil concerné, mais la vision de l’œil controlatéral peut également être altérée du fait de la traction exercée sur le chiasma optique. Le traitement immédiat doit viser à préserver l’hydratation du globe oculaire, et il faut conseiller aux propriétaires de lubrifier l’œil si possible pendant le transport ; n’importe quel lubrifiant oculaire disponible sans ordonnance fera l’affaire. Les facteurs pronostiques négatifs pour la préservation du globe oculaire incluent : rupture d’au moins trois muscles extra-oculaires, perte du réflexe photomoteur consensuel sur l’œil controlatéral, lacération cornéenne enjambant le limbe et hyphéma extensif 2. Si l’animal est stable pour une anesthésie générale et si le globe est jugé préservable, une chirurgie doit être rapidement mise en œuvre. L’œil et les tissus périoculaires sont nettoyés avec une solution de povidone iodée diluée (au 1/50e) dans du NaCl 0,9 % stérile, et une canthotomie latérale est réalisée pour faciliter la remise en place du globe oculaire. Après réduction de la proptose, une tarsorraphie temporaire est réalisée à l’aide de 3-4 points de suture en matelas horizontaux en fil non résorbable (soie 4-0 ou 5-0) s’appuyant sur des morceaux de matériel souple (tubulure coupée) afin de prévenir une nécrose des paupières. Une petite ouverture (2-4 mm) peut être laissée au niveau du cantus médial pour faciliter l’application des produits topiques. Il est essentiel de veiller à bien positionner les points de suture ; il faut piquer la paupière à 4-5 mm du bord palpébral et ressortir l’aiguille au niveau, ou juste à l’extérieur, de l’orifice des glandes de Meibomius mais à l’intérieur par rapport aux cils. Les sutures trop externes entraîneront le développement d’un entropion, mais les sutures trop internes toucheront la cornée et provoqueront une ulcération sévère. L’incision de canthotomie est refermée en deux plans. Je conseille de laisser toutes les sutures en place 10 à 14 jours, car un retrait prématuré des points de tarsorraphie risque de provoquer une nouvelle proptose du globe du fait de l’œdème et de l’hémorragie péribulbaires importants. Une administration IV d’antibiotiques large spectre et systémiques, et de corticoïdes anti-inflammatoires est recommandée au moment de la chirurgie pour prévenir les surinfections et réduire l’inflammation à la fois périoculaire et intraoculaire. De nombreux ophtalmologistes conseillent également d’administrer par voie orale des antibiotiques large spectre ainsi que des doses décroissantes de corticoïdes pendant 7 à 10 jours après la chirurgie. Une administration locale (par instillation dans le canthus médial) d’antibiotiques à large spectre (4 fois par jour) et d’atropine (1 à 3 fois par jour) pour traiter l’uvéite est également recommandée jusqu’au retrait des points.

L’exophtalmie est une protrusion anormale de l’œil qui peut apparaître brutalement, ou se développer de manière progressive même si le propriétaire perçoit une modification brutale de l’apparence du chien (Figure 5). L’exophtalmie est provoquée par une accumulation d’air, de liquide (œdème, hémorragie) ou de cellules (inflammatoires, tumorales) dans l’espace intracônal ou extracônal (Figure 6). La localisation et la nature de l’infiltration modifient l’aspect de l’œil et peuvent altérer l’état général de l’animal au moment de la consultation 3. La cellulite orbitaire et les infections rétrobulbaires s’accompagnent généralement d’une douleur sévère à l’ouverture de la mâchoire ou à la rétropulsion du globe. Fièvre, anorexie et léthargie peuvent également s’observer. Un examen approfondi de la cavité orale est essentiel dans ces cas, afin de détecter d’éventuels signes d’abcédations d’une racine dentaire ou d’œdème fluctuant en arrière de la dernière molaire de l’arcade supérieure. Dans ce dernier cas, un drainage peut être tenté sous anesthésie générale par une voie d’abord orale avec incision dans la fosse ptérygopalatine et introduction délicate d’un clamp fermé dans l’orbite, ce dernier étant légèrement ouvert pour son retrait. Tout corps étranger faisant protrusion dans cet espace peut alors être retiré délicatement (Figure 7). Un nettoyage doux au sérum physiologique peut favoriser le drainage ; une cytologie et une culture bactérienne avec antibiogramme doivent être réalisées pour mettre en place une antibiothérapie systémique adaptée pendant 2 à 4 semaines.

 

 

Figure 5. Lévrier Greyhound présentant une exophtalmie aiguë avec strabisme latéral secondaires à une tumeur rétrobulbaire. © Elizabeth Giuliano

Figure 6. Exophtalmie bilatérale chez un Labrador atteint de lymphosarcome. © Elizabeth Giuliano

Figure 7. Retrait d’un corps étranger (bâtonnet) à l’aide d’un clamp depuis la fosse ptérygopalatine chez un chien présentant une exophtalmie et une ulcération cornéenne secondaire. © Elizabeth Giuliano

Soulignons que les tumeurs rétrobulbaires évoluent généralement plus lentement et ne sont pas associées à une douleur aiguë sévère à l’ouverture de la mâchoire. Les techniques d’imagerie de pointe (échographie orbitaire, scanner ou IRM, par exemple) sont souvent nécessaires pour délimiter précisément l’extension de la tumeur et aider à planifier une biopsie ou une résection partielle 4 5 6, et le traitement dépend du type de tumeur, du degré d’invasion et de l’état général de l’animal. Si la tumeur orbitaire n’est pas une urgence per se, l’exophtalmie prolongée peut entraîner des séquelles, de type ulcère cornéen, pouvant compromettre la santé de l’œil.

Problèmes localisés aux annexes et à la conjonctive

Les urgences ophtalmologiques impliquant les paupières et la conjonctive sont souvent dues à des commotions (accident de la voie publique ou chute de plusieurs étages) ou des blessures par griffure ou morsure. Alors que les lésions des paupières sont généralement évidentes, les atteintes de la troisième paupière (Figure 8) ou des structures oculaires plus profondes peuvent être difficiles à détecter en cas de chémosis ou d’hémorragie conjonctivale importante. Un examen minutieux des structures intraoculaires est primordial, car une pénétration concomitante du globe est potentiellement plus dangereuse pour la santé à terme de l’œil. Une atteinte intraoculaire doit être suspectée si une dyscorie ou une réduction de profondeur de la chambre antérieure est observée, ou si la pression intraoculaire est basse. Un écoulement oculaire transparent peut indiquer une fuite d’humeur aqueuse, qui peut être confirmée par un test de Seidel 1. Ce test consiste à appliquer de la fluorescéine sur la surface de la cornée ; avant de rincer l’œil avec du sérum physiologique stérile, surveiller attentivement l’apparition d’un éventuel ruisselet provenant de la plaie cornéenne et diluant la fluorescéine, confirmant alors la présence d’une perforation cornéenne.

 
Figure 8. Lacération du bord libre de la troisième paupière chez un chien suite à une griffure de chat. La pupille a été pharmacologiquement dilatée pour rechercher une éventuelle lésion intraoculaire. © Elizabeth Giuliano

Les lésions ou anomalies palpébrales non traitées entraînent des défauts des bords palpébraux et un dysfonctionnement des paupières. Les lacérations doivent être traitées par une réparation primaire et il faut tout faire pour préserver le maximum de tissu palpébral. Je recommande un débridement minimal, suivie d’une suture en deux plans par points simples avec un fil 7-0 à 5-0 (fil résorbable pour le plan conjonctival et non résorbable pour la peau). La fermeture du bord palpébral doit être méticuleuse pour éviter toute irrégularité prolongée pouvant entraîner une abrasion de la cornée ; une suture « en lacet de bottine » permet une bonne apposition des bords de la plaie 7 8. En cas de traumatisme palpébral près du canthus médial ayant lésé les voies lacrymales (au niveau des orifices, des canalicules ou du canal), il faut envisager une reconstruction avec du matériel de microchirurgie et sous microscope. Un traitement associant des antibiotiques systémiques et topiques pendant 7 à 10 jours, plus une collerette pour prévenir toute lésion d’automutilation, est recommandé pour les plaies palpébrales, et les points cutanés sont retirés au bout de 10-14 jours. Le pronostic est excellent si l’apposition chirurgicale des bords de la plaie est bonne et si la plaie n’est pas infectée.

Une atteinte conjonctivale peut se traduire par un chémosis, une hémorragie ou un œdème localisé. Comme pour les traumatismes palpébraux, un examen minutieux des structures intraoculaires est primordial. Dans la majorité des cas, le traitement se limite à des mesures de protection contre la dessiccation cornéenne et de prévention des infections secondaires ; une antibiothérapie locale à large spectre (appliquée 3-4 fois par jour pendant 7-10 jours) est adéquate. Une administration systémique unique d’anti-inflammatoire peut être envisagée pour aider à réduire un œdème aigu.

Ulcération cornéenne

L’ulcère cornéen se définit comme une rupture de l’épithélium cornéen avec perte variable de stroma cornéen (Figure 2). Les chiens touchés présentent souvent un blépharospasme et un épiphora aigus de façon unilatérale. L’uvéite secondaire due à la stimulation de la branche ophtalmique du nerf trijumeau entraîne une anisocorie avec myosis de l’œil touché. Un degré variable de turbidité de l’humeur aqueuse (uvéite antérieure) peut être détecté selon la sévérité et la durée de l’ulcère. Si la cornée a été perforée par un corps étranger pénétrant ou une griffure de chat, une fuite d’humeur aqueuse (test de Seidel positif), un hyphéma ou un prolapsus irien peuvent également être présents 1 9 (Figure 9). Un œdème cornéen de sévérité variable sera visible. La fluorescéine se fixe sur le stroma cornéen exposé et constitue un outil diagnostique essentiel pour délimiter entièrement l’étendue de l’ulcère. Une échographie oculaire peut être utile si l’atteinte du segment antérieur (œdème cornéen ou hyphéma sévères, par exemple) exclut un bon examen intraoculaire (Figure 10).
 
Figure 9. Perforation cornéenne focale et prolapsus irien chez un Boston Terrier suite à une griffure de chat. Notons la présence visible de synéchies antérieures. © Elizabeth Giuliano

Figure 10. Echographie oculaire en mode B révélant un décollement rétinien chez un chien. © Elizabeth Giuliano

Pour évaluer l’ulcère cornéen, posez-vous les questions suivantes :

  • Quelle est la taille, forme, profondeur et durée de l’ulcère ?
  • Quelle est la cause sous-jacente de l’ulcère ?
  • Quel est l’état de la cornée adjacente (l’ulcère semblet-il infecté) ?
  • Quelle est la proximité de l’ulcère avec le limbe (à partir duquel une néo-vascularisation favorisant la cicatrisation peut se développer) ? 

Le traitement initial vise à déterminer et à corriger la cause sous-jacente de l’ulcération. La prévention de l’infection cornéenne et le traitement de l’uvéite secondaire consistent en une antibiothérapie topique à large spectre (appliquée 4-6 fois par jour) et une mydriase cycloplégique avec de l’atropine pour agir sur les ulcères cornéens superficiels non compliqués. Les analgésiques systémiques amélioreront le confort des animaux en cas de douleur ; mais les anesthésiques locaux doivent être réservés aux seules fins diagnostiques car leur utilisation prolongée compromet la cicatrisation cornéenne. Une réparation chirurgicale des ulcères cornéens est recommandée dans les cas suivants :

  • perte d’au moins 50 % du stroma cornéen ;
  • ulcères à progression rapide ;
  • ulcères infectés (révélés par un infiltrat cellulaire cornéen jaune/blanc, un œdème cornéen important, un écoulement oculaire mucopurulent, et une uvéite modérée à grave) (Figure 11) ;
  • descemétocèles, ou
  • perforations cornéennes.
 
Figure 11. Ulcère cornéen sévère : perte de stroma supérieure à 90 % dans l’axe cornéen. Notons la néovascularisation et l’œdème cornéens extensifs autour du lit de l’ulcère. © Elizabeth Giuliano

Il existe différentes méthodes de réparation chirurgicale, dont la greffe conjonctivale, la transposition cornéo-sclérale, la colle cyanoacrylate, et la kératoplastie pénétrante ; ces techniques sont décrites dans la littérature 7 10 11. Lors d’ulcère compliqué, le traitement antibiotique topique et systémique doit être basé sur le résultat de l’antibiogramme, réalisée à partir du lit de l’ulcère. 

Les antibiotiques topiques peuvent être administrés toutes les heures en cas d’ulcère infecté ou progressant rapidement, en début de traitement. De l’atropine doit être administrée localement 2-4 fois par jour jusqu’à ce que la pupille se dilate, puis uniquement à la demande pour maintenir la mydriase. Je préconise les solutions (plutôt que les pommades) topiques en cas de risque de perforation, et il est important de montrer aux propriétaires comment administrer les gouttes correctement (Figure 12). Des anti-protéases (N-acétylcystéine, sérum autologue, EDTA, par exemple) peuvent également être appliquées localement (toutes les 2 à 6 heures) pour limiter la progression de la kératomalacie. Une antibiothérapie systémique est bénéfique après une greffe conjonctivale ou une perforation de la cornée. Les AINS systémiques permettent d’améliorer l’uvéite et le confort oculaire, mais attention à ne pas en abuser chez le chien en raison du risque associé d’ulcération gastrique, d’hémorragie, de vomissements et de diarrhée 12. Les corticoïdes topiques et systémiques sont contre-indiqués en cas d’ulcères cornéens compliqués ou infectés car ils retardent la cicatrisation et augmentent l’activité des collagénases 13 14. Une collerette est recommandée pour prévenir l’automutilation de l’œil qui est en cours de cicatrisation.

Figure 12. Positionnement correct pour l’administration de médicaments topiques dans l’œil d’un chien. Notons que la tête du chien est relevée et que la goutte tombe d’une certaine hauteur pour éviter que le flacon ne touche l’œil ou les paupières. © Elizabeth Giuliano

 

Corps étrangers cornéens

Les corps étrangers cornéens (végétaux, morceaux de métal, par exemple) entraînent un blépharospasme et un épiphora aigus (Figure 13). Après anesthésie locale, les corps étrangers superficiels peuvent s’éliminer grâce à un lavage sous pression avec du sérum physiologique stérile ou à l’aide d’un coton-tige humidifié manipulé avec délicatesse. Les corps étrangers profondément implantés dans le stroma nécessitent souvent une exérèse chirurgicale sous anesthésie générale. Il faut veiller à ne pas pousser accidentellement le corps étranger plus profondément dans l’œil pour éviter de perforer la cornée. Une aiguille hypodermique de 25-27 G peut être utilisée pour piquer le corps étranger à 90° afin de le retirer en tirant dans le sens inverse où il est rentré dans la cornée. Après retrait du corps étranger, le traitement est le même que le traitement standard de l’ulcère cornéen. Le pronostic des corps étrangers cornéens chez le chien est généralement bon à condition que l’iris et le cristallin aient été épargnés, mais soulignons que le retrait des corps étrangers fermement implantés dans la cornée ou pénétrant la chambre antérieure nécessite une microchirurgie (Figure 14) et doit être référé à un vétérinaire ophtalmologiste. Une perforation de la capsule du cristallin par le corps étranger peut entraîner une uvéite phacoclastique, avec perte consécutive du globe oculaire.
 

 

Figure 13. Corps étranger végétal chez un chien. Notons l’ulcération cornéenne adjacente et l’uvéite secondaire révélée par le myosis. © Elizabeth Giuliano

Figure 14. Corps étranger implanté dans la cornée d’un chien et faisant protrusion dans la chambre antérieure. Il est fortement recommandé de référer ce genre de cas à un vétérinaire ophtalmologiste pour une chirurgie intraoculaire. © Elizabeth Giuliano

 

Uvéite

Un récapitulatif complet des signes cliniques, du diagnostic et du traitement de l’uvéite canine dépasse le cadre de cet article, mais l’uvéite et ses séquelles (cataracte, glaucome, luxation du cristallin) menacent fortement la vision et le confort oculaire. Les signes cliniques dépendent de la cause (facteurs endogènes versus exogènes) et de la durée de l’uvéite, mais les signes caractéristiques incluent douleur, congestion vasculaire épisclérale et conjonctivale associée, œdème cornéen, turbidité accrue de l’humeur aqueuse, fibrine et hémorragie dans la chambre antérieure, précipités kératiques, rubéose irienne, myosis et hypotonie (Figure 15). L’uvéite postérieure peut entraîner un décollement de la rétine et une cécité. De l’identification de la cause sous-jacente dépendra le traitement spécifique, mais le traitement symptomatique consiste à administrer des cycloplégiques mydriatiques et des anti-inflammatoires.

 

Figure 15. Uvéite chez un Berger Allemand. Notons la procidence de la troisième paupière, la transparence de la cornée (reflets parfaits du flash sur l’épithélium cornéen), la turbidité accrue de l’humeur aqueuse avec caillot sérofibrineux en partie déclive de la chambre antérieure et le myosis. © Elizabeth Giuliano

 

Autres problèmes

Le glaucome peut être primaire chez le chien, mais peut également être secondaire à une uvéite, un hyphéma ou une tumeur (Figure 16). De même, la luxation du cristallin peut être primaire, notamment chez les terriers, ou secondaire à une uvéite chronique, et le lecteur est invité à se référer à d’autres publications plus complètes sur le glaucome et les maladies du cristallin 15.
 

 

Figure 16. Chien croisé souffrant de glaucome chronique avec une pression intraoculaire de 42 mmHg (valeurs normales : 15-25 mmHg). Une buphtalmie légère ainsi qu’une injection sclérale avec hyphéma intraoculaire sont visibles. © Elizabeth Giuliano

Références bibliographiques

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  3. Ramsey DT, Derek BF. Surgery of the orbit. Vet Clin North Am Small Anim Pract 1997;27:1215-1264.
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  5. Gilger BC, McLaughlin SA, Whitley RD, et al. Orbital neoplasia in cats: 21 cases (1974-1990). J Am Vet Med Assoc 1992;201:1083-1086.
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  8. Williams DL, Barrie K, Evans TF. The adnexa and orbit. In: Veterinary Ocular Emergencies. Marnickville, Australia, Elsevier Science/Harcourt, 2002;23-25.
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  10. Maggs DJ, Miller PE, Ofri R. Cornea and Sclera. In: Slatter’s Fundamentals of Veterinary Ophthalmology (5th Ed): Philadelphia, PA, Saunders 2013;184-219.

  11. Wilkie DA, Whittaker C. Surgery of the cornea. Vet Clin North Am Small Anim Pract 1997;27:1067-1105.
  12. Giuliano EA. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs in veterinary ophthalmology. Vet Clin North Am Small Anim Pract 2004;34:707-723.
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Références complémentaires 

  • Stades FC, Wyman M, Boevé MH, et al. Ophthalmology for the Veterinary Practitioner. Hannover, Schlütersche GmbH & Co, 1998.
  • Williams DL, Barrie K, Evans TF. Veterinary Ocular Emergencies. Marnickville, Australia, Elsevier Science/Harcourt, 2002.
  • Nasisse MP. (ed): Surgical management of ocular disease. Philadelphia: W.B. Saunders Co. Vet Clin North Am Small Anim Pract 1997;27(5).
 

 

Elizabeth Giuliano

Elizabeth Giuliano

Elizabeth Giuliano, Faculté de Médecine Vétérinaire, Columbia, Missouri, Etats-Unis En savoir plus

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